Qui pourrait rester inerte devant une jeune femme enceinte qui crie à l’aide pendant qu’elle se noie avec sa petite fille ? Pourtant, cette scène s’était réellement produite le 31 mai 1880, lorsqu’une stricte loi thaï archaïque régissait encore le quotidien des habitants de Siam. Aucun roturier ne pouvait poser sa main sur un membre de la famille royale, au risque de se faire exécuter sur le champ.
Le récit macabre qui entoure la disparition de la reine Sunandha Kumariratana, épouse du roi Rama V est parvenu aux oreilles des journalistes du monde entier. Ces derniers déplorent les mœurs qui façonnent la mentalité en Thaïlande.
Éteinte à seulement 20 ans lors d’un voyage en bateau
La reine consort traverse un jour le fleuve Chao Phraya avec sa fille âgée d’un an pour rejoindre le palais de Bang Pa-In. C’est la résidence d’été de la famille royale. Soudain, le bateau qui les transporte bascule et les passagères, incapables de nager, s’enfoncent dans l’eau. Les serviteurs assistent impuissants à cette noyade puisque les deux gardes les défendent de sauver les victimes.
Après avoir appris les circonstances de la disparition de Sunandha Kumariratana, le roi de l’époque emprisonne ceux qui ont demandé aux témoins de ne pas réagir. Mais ce n’est pas tout. Contre toute attente, le sage souverain met fin à cet interdit royal à l’origine du drame. On pensait aussi que les esprits qui habitaient l’eau allaient se retourner contre ceux qui tentaient de sauver la vie des personnes en danger. C’est ce que rapporte Misfit Hisory.
Il n’empêche que de nombreux actes soient encore considérés comme des crimes de lèse-majesté dans cette partie de la péninsule indochinoise. Par exemple, il y est interdit de critiquer la monarchie ou de dresser sa tête à la même hauteur que celle du roi, en présence de ce dernier.
Le palais de Bang Pa-In abrite un mémorial en l’honneur de l’épouse du roi Rama V
Envahi par le chagrin, le roi Rama V annule son déplacement aux États-Unis. Il attend sept longs mois avant l’incinération du corps de Sunandha Kumariratana, le temps de lui préparer de somptueuses funérailles. On en évalue le coût à un demi-million de dollars, soit les plus chères de l’histoire du Siam. Les obsèques sont organisés le 9 mars 1881. Les cérémonies de crémation se déroulent dans des bâtiments temporaires élevés pour l’occasion.
L’intéressé érige également un monument de marbre en l’honneur de sa défunte bien-aimée. L’édifice se trouve à l’arrière du palais de Bang Pa-In, dont la construction a fini par être achevée. À l’intérieur du crematorium principal, les défunts sont installés sur des trônes dorés en position assise, à côté de quelques objets précieux. Insignes royaux, bijoux en or, vases en argent…les ornements ne manquent pas.
Autre détail intéressant : une université bâtie au début du XXIème siècle à Bangkok portait le nom de l’épouse préférée du souverain en question.
Mais qui est réellement Sunandha Kumariratana ?
Née le 10 novembre 1860, la reine noyée est le fruit de l’union entre le roi Mongkut de Siam (Rama IV) et la princesse Piam Sucharitakul. Sunandha Kumariratana épouse par la suite le roi Chulalongkorn (Rama V), qui n’est autre que son demi-frère. Le couple aura une fille appelée Kannabhorn Bejaratana, qui voit le jour le 12 août 1878. Au moment de sa disparition, la femme du roi Rama V attend un petit garçon, le futur héritier du trône.
Comme le roi Rama V totalise 92 épouses, le nombre de ses descendants officiels s’élève à 77, conçus avec 36 conjointes. Les quatre premières d’entre elles sont du même sang que lui : ses demi-sœurs plus précisément.
À l’heure actuelle, la polygamie est encore monnaie courante dans la dynastie thaïlandaise. Le roi Maha Vajiralongkorn (Rama X) s’est marié quatre fois et a engendré sept enfants légitimes avec trois de ses femmes. Or, il n’a conçu aucun enfant avec son épouse officielle Suthida Tidjai, ni avec sa noble royale Sineenat Bilaskalayani, sa partenaire actuelle, selon le site Histoires Royales.
Cette tragédie rappelle que la tradition peut parfois porter préjudice. Même si les rois ne sont plus traités comme des personnes intouchables, ils restent vénérés. Ne tentez donc pas de leur effleurer les pieds !